MON PAUVRE MONSIEUR LIMOSIN,

 

Dans mon dernier mot d'écrit, je vous ai parlé des pommes de terre. Ce coup, faut que je vous parle des pommes de pommier.

Si la récolte des premières n'a pas été " fameurse ", la récolte des secondes a été superbe. Les arbres en cassaient. Jamais rien de pareil. C'est vrai, l'année passée, il n'y en avait pas du tout.

J'ai remarqué que les pommiers ne portent guère de fruit que tous les deux ans. D'où ça provient-y ? Certains disent qu'en "culissant " les pommes on casse les porte-fruits de l'année d'après. Rien d'étonnant que ça y fasse un peu. Mais pour moi, c'est pas la raison principale, pourquoi il y a des pommiers qu'on " late" pas pour cueillir les fruits ; ils tombent d'eux-même.

Je m'émagine que ça dépend beaucoup plus du temps qui fait au moment que les pommiers sont en fleurs. A ce moment, s'il gèle ou s'il pleut, la fleur coule. Ca vient aussi qu'après une belle récolte, l'arbre est épuisé et a besoin de se "poser ". Le mieux de tout, quand on veut avoir des pommes à peu près tous les ans, c'est de planter des pommiers de plusieurs sortes, qui ne fleurissent pas au même moment.

Pour avoir des pommiers de plusieurs espèces on n'a que l'embarreras de choisir. Il y a quelques années, à une esposition  qui se tienait à la mairerie de limoges, et où je me trouvais, un Monsieur nous contait qu'il y avait plus de 1.5oo espèces de pommes. J'en croyais pas mes oreilles.

Chez nous, une pomme qui est très réputée, c'est la pomme " lestre ". Je la mets en tête pourquoi elle est " sabourouse " au possible et de conserve. On la mange à partir du mois de mars et jusqu'à la Saint-Jean. Malheureusement, elle réussit pas toujours et ne paye pas de mine. A cause de ça, dans les grandes hôtels, sur les tables des léchadiers, on lui préfère d'autres espèces qui ont la peau " leine " et colorée, té, comme la pomme " pierre " qui, pour moi, ne vaut pas la " lestre ".  Des pommes aussi de premier choix, c'est la " chaux ", la " drap d'or ". Puis les reinettes. Elles sont une ribambelle : reine " peteuse", du Canada, des Chartreux, de Saintonge, sans oublier la reine des reinettes qui n a pas sa pareille pour la confiture. Les phormaciens le savent bien. Ils s'en servent pour fabriquer leurs sirops.

Des pommes qui ne sont pas grosses, mais qui viennent bien en limousin, c'est la pomme " d'apis ", la " pa­radis ", la " Cardissou ", la " belle fille ". Elles sont rustiques et font du bon "citre ". Mais elles sont bonnes aussi à manger au couteau à défaut d'autres.

Je vous dirai que chaque pays a son espèce de pommes qui réussissent là mieux qu'ailleurs. Du  biais de  Châteauneuf, il y a une pomme qui porte le nom de cette commune :

 la " pomme de Châteauneuf ". A Saint-Paul d'Eyjeaux, il y a la Virgoujeanne. Pour moi, on a trouvé comme ça ces pommiers dans les bois, par hasard, comme c'est arrivé pour la poire Dumas. Je me suis laissé dire que " l'épine Dumas" avait été trouvée par un médecin de brigueil, du biais de Saint-Junio, qui s'appelait M. Dumas et on l'a nommée " épine Dumas ".

Mais pour avoir de bonnes pommes, il suffit pas de choisir de bonnes espèces, il faut savoir planter les pom­miers. Beaucoup n'y entendent rien. Ils se contentent de faire un trou, d'y cogner un plant et ils s'en occupent plus. Le pommier vient comme il peut. C'est pas ça. Il faut planter le pommier avec soin et une fois en terre, le soi­gner.

Voici la méthode que m'avait enseignée mon vieux grand-père , un homme qui s'y entendait et qui aimait planter les arbres. Il en avait planté partout dans notre petite porpiété et des fruitiers et de la futaie. C'est grâce à lui que nous ne manquons pas de bois à cette heure. Donc, défunt mon vieux. Grand-père nous disait souvent à moi et à mes frères:  " Petits, ne passez jamais une année sans planter des arbres. C'est la grande richesse de la campagne et ça donne du revenu sans que vous vous en doutiez. Si vous n'en profitez pas vous-mêmes, d'autres on profiteront. Mais quand vous plantez un arbre, faites un grand trou, d'un mètre de profondeur et d'un mètre de tour au moins. Dans le fond de ce trou, cognez de la bonne terre, des débris de " tarrailles"  ou de feuilles mortes. Puis plantez, là-dessur votre arbre, en ayant soin d'égaliser les racines après les avoir épointées un peu, et " bressez" le tout. Avec ces "percautions" vous réussirez toujours vos plantations. "

Il nous recommandait aussi, quand l'arbre est planté, de lui mettre un tuteur, un bon piquet, pour le tenir droit, autrement le vent le courbe de biais et les racines ne pous­sent que d'un côté. C'est pour ne pas avoir pris ces " percautions" que beaucoup de pommiers semblent de pau­vres vieux écanés qui s'en vont tout courbés, qu'on di­rait que leur nez va joindre leurs genoux.

Il faut aussi avoir soin de mettre autour des arbres, quand ils sont petits, des palins ou des buissons pour que le bestiau vienne pas se frotter contre et les brouter. Et quand ils sont "beaux ", il faut avoir soin de bêcher la terre autour du pied pour que l'eau rentre quand il pleut, au besoin, une année de sécheresse, comme cette année, les arroser. Enfin, au printemps, les chauler pour détruire la vermine. Les chenilles et les mônes se cachent dans leur peau et de là, à la prime, vont pondre leurs œufs dans la fleur. C'est ce qui fait qu'il y a tant de fruits véreux.

Vous voyez, c'est pas une petite affaire de faire venir de bonnes et belles pommes. Mais c'est un tant bon fruit,. En hiver, quand on n'a pas autre  chose, on est content d'avoir une pomme pour se rafraîchir et finir son marender.

Mais la pomme n'est pas seulement un excellent dessert, elle fait aussi une bonne boisson, le " citre ". Le citre remplace le vin.

Dans le temps, c'était la grande boisson des campagnards. On buvait du citre en marendant, mais surtout en mangeant les châtaignes blanchies.

J'aurais voulu vous parler de la manière de faire le citre et aussi d'une idée qui me trotte dans la tête depuis bien longtemps, à propos des plantations de pommiers qu'on devrait faire sur les routes. Mais ça nous mènerait trop loin. Ce sera pour un autre coup.

10 Octobre 1943

MENFOUTE